L’Abbaye de Saint-Michel de Cuxa (prononcer Coucha) se dresse au pied du Canigou, sur la commune de Cordalet, non loin de Prades. C’est la plus grande église pré-romane conservée en France. Construite au 11ème siècle elle eut un essor retentissant durant plusieurs siècles. Centre d’échanges, de connaissances et de décisions, on venait de toute l’Europe pour rencontrer les personnes importantes de la chrétienté qui y séjournaient.
Histoire de Saint Michel de Cuxa
L’histoire commence en 878, avec une crue qui emporte le monastère de Saint-André d’Eixalada situé plus haut dans la vallée. Les 35 moines survivants se réfugient à Cuxa, où se trouve un modeste oratoire dédié à Saint Germain. Ils se constituent en communauté bénédictine autour de Protase qui devient leur premier abbé. Or l’emplacement du nouveau monastère est proche du « palais » des comtes de Cerdagne qui vont veiller à son développement. Il deviendra un centre spirituel de premier plan qui ne relèvera que de la seule autorité du pape ou du roi.
Deux abbés furent les fers de lance du rayonnement de St Michel : l’abbé Guarin et l’abbé Oliba de Belasu.
Vers 965, Guarin obtient de Sunifred II de Cerdagne la direction du monastère. Il y introduit une réforme dans l’esprit de Cluny. Au cours d’un pèlerinage à Venise, Guarin convainc le doge Pietro Orseolo de le suivre à Cuxa. Celui-ci abandonne pouvoir, femme et enfants, emportant avec lui une bonne partie de ses trésors et deux ermites d’importance. La présence de ces hôtes illustres attire à Cuxa une foule de pèlerins. L’église devenue trop petite, Guarin en fit construire une plus grande en 974. Elle fut consacrée à Saint-Michel, saint patron de la famille comtale de Cerdagne.
Oliba de Besalu
Oliba de Besalu est le petit fils de Sunifred. En 1002, à 31 ans Oliba décide de renoncer à ses titres au bénéfice de ses frères et rejoint l’ordre bénédictin au monastère de Sainte-Marie de Ripoll, de l’autre côté des Pyrénées. Dans cette zone frontière avec l’Islam, Ripoll a développé une importante collection de manuscrits. Dans son Scriptorium les moines traduisent de l’arabe des textes grecs et romains. En 1008, Oliba en devient l’abbé. La même année, il est nommé abbé de Cuxa et évêque de Vich. Il instaure une discipline de fer dans ses monastères et fera de nombreux travaux d’agrandissement. A Cuxa il fait construire : les deux églises superposées de la Vierge et de la Trinité, deux clochers, une tour-lanterne au-dessus du maître-autel. Il augmente aussi l’abbatiale d’un déambulatoire autour du chœur de l’église et de trois absides. Le cloître sera construit plus tard au 12ème siècle.
Oliba homme de grand prestige est surtout connu parce qu’il est à l’origine de la « Trêve de Dieu ». En 1027, il organise le synode d’Elne, dit le Concile de Toulouges pour défendre les droits et les biens de l’Eglise contre les assauts répétés des seigneurs locaux. La Trêve de Dieu était une suspension de l’activité guerrière durant certaines périodes de l’année.
Décadence et réparation
Les périodes suivantes du Moyen Âge sont moins fastes. Mais l’abbaye, de par l’importance de son domaine foncier ne sombrera réellement qu’à la Révolution française. Comme ailleurs les bâtiments seront vendus, pillés et les derniers moines mis à la porte. Tout au long du 19ème siècle, l’abbaye tombera peu à peu en ruine. En 1825, un arceau de la grande nef se rompt, entraînant l’écroulement de la voûte de la crypte. Un des 2 clochers s’effondrera également. Les chapiteaux du cloîtres, seront vendus un à un à des collectionneurs. En 1908, il n’en reste que douze sur place.
L’américain George Grey Barnard se donnera beaucoup de mal pour les réunir à nouveau. Il en retrouvera un grand nombre disséminées jusqu’à New York ! En 1913, il en fera don à la France. Depuis les années 20, l’abbaye fait l’objet de nombreuses campagnes de restauration par le service des Monuments historiques.
Architecture de l’église abbatiale de Saint-Michel
La partie la plus ancienne de l’abbaye est l’église Saint Michel, en partie pré-romane. Elle date du 10ème siècle. Son plan d’influences carolingiennes et wisigothiques ne cherche pas à ouvrir les espaces les uns sur les autres. Sa nef est séparée de ses collatéraux par un mur percé d’arcs outrepassées de tradition byzantine. Le transept communique pareillement avec les collatéraux et la nef par de grandes arcades outrepassées. L’abside est rectangulaire. Au 11ème siècle Oliba créera une circulation autour de ce chœur avec l’adjonction de deux chapelles rectangulaires voûtées en berceaux et trois absidioles.
Avec l’église abbatiale on peut suivre le passage entre l’architecture préromane et le premier art roman méridional. Ce dernier se caractérise par un appareil de maçonnerie plus régulier, le remplacement des charpentes par des voûtes, l’utilisation d’arcs en plein-cintre et des ouvertures à double ébrasement.
Le clocher
Au 11ème siècle, Oliba fit ériger deux clochers quadrangulaires, aux deux extrémités des bras du transept. La tour Nord s’écroulera au 19ème siècle détruisant une partie du transept. Il ne subsiste plus aujourd’hui que le clocher Sud, haut de 33 mètres. Il est décoré de bandes lombardes, particulièrement caractéristiques du premier art roman méridional. La tour est couronnée par des créneaux qui ne sont pas d’origine. Le contrefort à sa base fut ajouté au 15ème siècle.
Les églises de la Vierge et de la Trinité
Profitant de la déclivité du terrain, Oliba fera construire deux églises superposées en prolongement de l’abbatiale. Au niveau inférieur, une crypte dédiée à la Vierge et au-dessus l’oratoire de la Sainte-Trinité.
La crypte est souterraine. La chapelle de la vierge est au centre. Telle une grotte sa forme circulaire s’inscrit dans un carré de pierre. Sa voûte annulaire est soutenue par un important pilier central. Elle est encadrée par deux espaces pour les archanges Gabriel et Raphaël symboles de l’Annonciation. Un espace voûté en berceaux soutenant l’atrium du dessus, la prolonge. Aucune décoration. La pensée symbolique sur le mystère de l’Incarnation divine préfère s’exprimer à travers l’architecture.
L’église de la Trinité se superpose exactement sur le plan de la crypte. Après la Mère, voici le Père et le Fils. Le plan de la chapelle est complexe. Deux cercles et un ovale de dimensions différentes se recoupent. La chapelle est encadrée de deux couloirs et d’un atrium qui mène à l’abbatiale.
Le cloître
Le cloître est plus récent. Il date du 12ème. C’est une merveille d’architecture qui marque la naissance de la sculpture romane roussillonnaise. Il a la forme d’un quadrilatère irrégulier dont les galeries sont soutenues par 63 colonnes. Des piliers et des colonnes géminées renforcent la stabilité de la structure. Dans la galerie Sud, tous les chapiteaux sont taillés dans des blocs de marbre rose de Villefranche. Ils semblent être l’œuvre d’un même artiste. Des animaux, aigles, lions et monstres trapus aux têtes disproportionnées et des motifs végétaux s’inscrivent dans une base de chapiteau corinthien.
Les autres chapiteaux sont plus disparates. Leurs factures sont inégales. Parfois les tailloirs sont décorés de simples rangées de feuilles. Une pièce superbe associe des monstres menaçants à des figures humaines. Deux chapiteaux représentent le Christ. Le Christ seul entouré par deux anges; le Christ bénissant entouré d’anges et de Saint Pierre.